T.C. Elimane.

Voilà un an que je lisais, poussé par un élan de curiosité littéraire, « La Plus Secrète Mémoire des Hommes », Prix Goncourt de l’année 2021. Cette escapade mentale, dont je me suis remis assez facilement à la fin de l’œuvre, m’a laissé perplexe quant à la recherche du fameux TC Elimane.

Loin de moi, à mon niveau actuel, de m’immiscer dans l’œuvre d’un jeune auteur pertinent et maître de son art, et critiquer son roman qu’il a sûrement dû passer beaucoup de temps à écrire et réécrire jusqu’à le peaufiner à sa version finale.

Bref introduction maintenant faite et dose d’humilité servie, plongeons ensemble dans le monde imaginaire de Mohammed Mbougar Sarr, un auteur âgé de l’âge d’un de mes grands frères et s’étant accompli dans son art à un âge assez précoce dans le métier, bien que rien n’implique l’âge dans un quelconque art.

J’essaierais, sûrement gauchement, de ne pas vous spoiler, mais je ne vous garantis rien.

Ce roman que j’ai dégusté entièrement en moins d’une semaine sonnait à l’époque comme une épopée de savoir et de vécu que j’ai toujours idéalisée. Bien des similitudes existaient entre moi et le personnage principal, Diégane.

Ce jeune auteur africain sénégalais, passionné de littérature et assidu en la matière, partit peaufiner son art en France, vivant une vie aux antipodes de sa religion, l’islam, parti à la découverte de tout en ne cherchant à la base rien de particulier. Sa bande d’amis, tout aussi intéressante que lui, une diaspora africaine, chacun plongé dans son art, ils se rencontraient lors de soirées calmes, parfois houleuses, où les avis des autres servaient de matière à réflexion à tous les autres.

À cette époque pas si lointaine – il y a un an – je n’étais pas l’homme que je suis aujourd’hui. Évidemment, je suis le même sans forcément resté dans mes habitudes destructrices, limite démonique, mais cette vie-là que je lisais, dans mon jardin près d’une piscine à l’eau cristalline uniquement en été, je m’étais surpris à rêvasser.

Cela étant dit, je suis le genre de garnement qui ne tient jamais en place, alors ce style littéraire que j’appréciais, qui mélangeait sexe et vie dépravée coupé en de longues réflexions philosophiques, m’avait donné chaud au cœur.

Puis d’une page à l’autre, avant même que l’ennui ne se fasse ressentir, Diégane partit à la recherche de cet homme qui l’obsédait, cet homme au destin mystérieux. En réalité, son nom était « mystère » au début de l’œuvre. Je suis sûr que je ne suis pas le seul à avoir attendu impatiemment la révélation de ce personnage entouré de fumée.

T.C. Elimane était un jeune écrivain africain qui quitta son foyer pour écrire un livre incompris, qui fut calomnié par simple racisme (d’après moi, c’est aussi ça qui fait de l’auteur un génie), tantôt pris pour le « Rimbaud nègre », tantôt pris pour un simple copieur qui plagia tout ce qui avait été fait de mieux avant l’apparition de son roman controversé. Qui laissait entrevoir une suite évidente qui ne vit jamais le jour, alors Diégane partit à sa recherche, une recherche compliquée mais qui déboucha en une suite de révélations, poussé par l’enquête du personnage principal qui petit à petit nous révélait la vie entière de cet homme.

Un homme qui, au début, paraissait impressionnant, mais qui de fil en aiguille me parut n’être rien de plus qu’un homme brillant qui partit à la poursuite de tous ces plaisirs sans jamais leur offrir une quelconque contestation.

Oui, je sais, si Mohammed Mbougar Sarr me lisait, il aurait sans le moindre doute une ribambelle d’arguments à me donner, ou peut-être pas. Quand on écrit un si beau roman, on sait pertinemment que chaque lecteur aura sa propre vision, et ce plaisir-là, d’avoir créé un monde particulier qui fera oublier sa misère propre à ceux qui le lisent, c’est l’un des derniers plaisirs que je compte ressentir un jour.

Enfin bref, dans mon effort de ne pas écrire un article trop long ni de spoiler les lecteurs qui viennent me lire, je vais essayer de rester constant.

Cet homme mystérieux qui, au début, avait des airs d’agent secret et de superhéros masqué, sonnait pour le jeune rebelle que je suis comme un personnage hautement intéressant et fortement cultivé, ce qui est le cas d’ailleurs. Ce que je n’ai pas aimé, c’est la façon avec laquelle il a vécu sa vie. À la toute fin, Diégane le retrouve et TC Elimane est bien vieux.

Si mes souvenirs sont bons, il devait avoir la centaine et était sur le point de mourir. Bien sûr, j’aurais pu avoir de la compassion et, connaissant son histoire et son enfance compliqué, me dire que finalement suivre ces désirs sans s’y opposer était une chose normale.

J’aurais pu, mais ce n’est pas qui je suis.

Malgré le fait d’avoir changé et d’essayer constamment d’atteindre la lumière terrestre offerte à l’Homme par le vouloir d’Allah, je ne peux toujours pas me dire que c’était là le meilleur chemin pour notre libertin d’Elimane.

En effet, le roman, si je pouvais le noter, je lui donnerais l’excellente note de 9/10, mais ce qui m’avait tenu en haleine m’avait finalement déçu.

Est-ce ça de n’avoir connu que la déception et qu’à force on s’y habitue tellement ? À part ce que nous faisons pour nous-mêmes, tout nous déçoit. Peut-être aussi est-ce ça d’avoir grandi sous une autorité écrasante d’une figure paternelle très souvent absente.

Je ne saurais y répondre, mais je peux dire avec certitude que j’ai été dépité par le sort final de cet homme qui a vécu dans trois continents différents et qui fut brillant toute sa vie, de son début jusqu’à sa fin, et qui retourna là d’où il avait fui, essayant gauchement de recoller des morceaux déjà brisés et enterrés.

Comment avait-il pu faire ça, pour une simple histoire de mœurs ? Ce n’est pas très honorable, pensai-je. Là où d’autres y voyaient sûrement un dessin facilement accessible, quand on part, on revient souvent à l’endroit d’où on est partis, même si nous avons passé une vie à chercher le néant et à fuir l’inculqué.

Pour moi, il était hors de question d’avoir abandonné sa mère pendant si longtemps, de s’être abandonné soi-même pour une histoire libertine et un succès polémique, d’avoir fui une fois puis deux, car la réalité refusait de montrer le bout de son nez déjà enterré.

Certes, ce personnage avait vécu comme il le souhaitait même si ce qui le poussa à partir n’était pas un rêve mais une noble cause.

Voilà un an que j’avais lu à une vitesse ahurissante ce roman si bien ficelé, et ce soir je ne pus m’empêcher de penser à TC Elimane.

Comme je le disais plus haut, je ne suis plus du tout le même qu’à cette période. Mes lecteurs les plus fidèles savent pourquoi et comment. Je n’ai jamais caché mes joies, mes peines et mes tracas dans ce site fantomatique que je tiens depuis maintenant dix ans.

Cela étant dit, je remarque que ma conclusion sur ce personnage n’a pas bougé d’un pouce. Et comme dit plus haut : je suis le même sans être le même. C’est avec joie alors que je remarque que les principes d’un homme ne changent pas même si ce dernier est en proie à des changements abrupts et constants.

Je n’ai jamais fui, j’ai toujours opposé une résistance farouche à tous mes désirs insensés et inculqués de gré ou de force, je n’ai jamais abandonné mes proches qu’ils aient besoin de moi ou pas, j’ai toujours foncé dans la pénombre n’ayant comme arme rien d’autre que ma volonté.

Loin de moi l’idée de me comparer à un personnage de fiction, ce qui me turlupine, c’est de savoir pourquoi ce soir j’y ai repensé.

Plusieurs causes me viennent à l’esprit : j’ai un recueil de nouvelles à terminer, je suis à un stade de ma vie où le changement me bouscule comme un cerisier secoué par le vent, je me remets paisiblement dans la solitude qui m’a fait grandir, je délaisse tout ce qui est futile.

C’est l’opposé même de TC Elimane. Cet homme désormais ambigu, qui lui avait écrit une œuvre réussie mais controversée, lui qui ne changeait jamais et restait droit dans sa mission vaine et perdue d’avance, lui qui, concentré sur sa mission, ne suivait que des futilités qui le rongeaient de l’intérieur.

Si nous avions un point commun, moi et ce personnage de fiction, ce serait celui-ci : nous avons tous les deux la même arme redoutable à l’époque de toutes les futilités et les servitudes ; une volonté infaillible.

Alors certes, je n’ai pas plus de cent ans, et je ne souhaite aucunement vivre aussi longtemps, mais je ne faiblis pas dans mon évolution en pleine pénombre, et je n’ai pas le moindre doute que je ne m’arrêterais jamais dans cette quête qui, sans déni, mène vers une seule chose inéluctable : la mort.

C’est sûrement pour ça que j’y ai pensé ce soir. Bien que je sois partiellement amnésique et que j’oublie l’intéressant autant que l’inintéressant, je n’ai pas pu oublier ma déception envers cet homme intéressant aussi fictif soit-il.

La vie moderne est une succession de déceptions. Tant mieux, je n’ai jamais mis le bonheur comme un but à atteindre dans cette vie morne et paresseuse.

Les humains modernes sont comme des serpillères, principalement car ils se voient ainsi, qui se soumettent à tout depuis l’instant où ils quittent les utérus de leurs génitrices. À force, même les plus fiers et courageux d’entre eux deviennent eux aussi des serpillères, car l’être humain est à la base un être purement social, et aujourd’hui encore plus.

La quête constante du vide et de la satisfaction de leurs plaisirs douteux en font des individus tout aussi vides que ce qu’ils cherchent à atteindre ; un bonheur incertain et limité à du matérialisme brut qui ne fait que renforcer leur état de serpillère vivante.

C’est ainsi, et je n’en ai plus rien à cirer de l’état du monde, sauf bien sûr en Palestine, en RDC, en Chine avec les Ouïghours, et j’en passe.

Vivre une vie de semi-mécréant dans un pays raciste ne m’a jamais intéressé, et combien même ce roman très appréciable m’en donna une vision quasi sereine, je sais que dans mon cas ça n’aura jamais été le cas.

Je suis bien trop droit dans mes bottes et j’ai bien trop peur du Divin pour me lancer dans une entreprise aussi foireuse et en proie à de nombreux doutes.

Je suis là où je suis, et c’est le meilleur endroit pour moi dans cette temporalité unique, qui fait qu’un jour prochain nous nous retrouverons tous là-haut.

Sans distinction sociale ni ethnique, sans différence millénaire d’une époque à une autre, tous les humains ensemble dans un décor apocalyptique qu’aucune œuvre ne saurait retranscrire.

Oui, un jour prochain, car le temps n’est pas un amas d’époques et « d’évolutions » scindés et sans équivoque l’une par rapport à l’autre, il n’y a qu’une race : l’être humain.

Qui sait dans une autre réalité, dans une autre temporalité j’aurais bien pu être moi aussi TC Elimane.

Barakate Omar.

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