Le pitre.

Je ne sais pas si c’était par paresse mentale, lassitude, manque d’intérêt, ou par simple insubordination, mais dans le milieu scolaire c’était le seul salut possible pour l’élève que j’étais ; faire le pitre.

Durant une longue période de ma scolarité, avant de sombrer dans le dark side de l’adolescence, je n’ai fait qu’être un pitre de qualité.

Avec ces professeurs aux mains grasses du déjeuner tout aussi gras qui prenaient un malin plaisir à nous rabaisser, nous les mauvais élèves dont les parents ne venaient jamais aux réunions.

Bien sûr, quand on passe une grande partie de sa vie à faire le pitre, nous le devenons sans doute un peu. Effectivement, j’étais devenu un pitre dans mon humour, ma façon d’être, de régler mes problèmes et même dans ma communication.

« Ah Omar c’est un sacré déconneur ! »

C’est ce que les gens disaient de moi aux inconnus, un sacré déconneur.

Aujourd’hui je suis très loin d’être un sacré déconneur, principalement parce qu’à passer une vie à rigoler de tout, rigoler devient fade et sans goût, je me marre toujours, mais je ne fais plus marrer qui que ce soit à part moi-même dans des moments intimes de complicité entre moi et ma conscience.

Quoi qu’il en soit, être un pitre était rythmé par l’envie de faire rire le plus grand nombre, pris aujourd’hui dans une autarcie extrême et salvatrice, il est loin le temps du déconneur extraverti.

La rigueur dans l’âme et l’application du « peu importe » continuel font de moi un être tiède, et cela me dérange profondément, moi le glaçon impassible, que dis-je, moi l’iceberg indestructible, me voilà devenu tiède !

Ce mot d’ailleurs m’horripile grandement, ce mot qui dérange et picote en toute circonstance.

Par exemple, quand vous voulez vous désaltérer d’une boisson fraîche mais que cette dernière vous est servie tiède, vous vous retrouvez bien ennuyé !

A contrario, quand vous voulez boire un thé chaud et que ce dernier n’est pas à la bonne température, vous êtes tout aussi ennuyé qu’il soit tiède.

Cette température est si détestée qu’elle est remplacée par : « à température ambiante » pour ne pas vous abattre en un mot.

Me voilà devenu tiède, je n’aime pas (comme tout le monde) ce mot, mais c’est ainsi que je m’aperçois.

Ce n’est pas si mal, après tout la solitude froide et glaciale qui m’a construit, il fallait bien que je la déconstruise un jour c’est dans l’ordre des choses.

Puis de toute manière, à avoir viré l’alcool et les drogues de ma vie, celle-ci n’est plus sans couleur comme je le craignais, bien au contraire, elle en regorge.

Je peux dire sans broncher que je suis bien heureux d’avoir quitté le « shlagistan ».

Bien sûr, ici et là reste encore des résidus de mauvaises énergies dont je n’ai cure, principalement car je suis né dans une ville particulière, une ville détestable car composée de démons humains sans foi ni loi, sans valeur ni principes, seulement de bribes de foi, de loi, de valeurs et de principes d’une époque si lointaine qu’elle est aujourd’hui impossible à imaginer.

Le chemin que j’ai fait, je l’ai fait. La route qu’il me reste à parcourir, je la parcourrai. Ce qui est sûr, c’est que l’évolution est réelle. Le surplace et l’immobilité ne s’appliquent pas sur moi.

Seul, en titubant ou en courant (des fois) je me meus et c’est tout ce qui compte, je ne suis pas dans la sensibilité, la réalité brute me plaît beaucoup plus, je ne suis pas insensible mais les sentiments n’ont plus rien à dicter dans mon existence, seul l’émerveillement face au créateur et de ce qu’il a créé rythme mes sentiments, dans une symphonie angélique.

J’ai trop aimé, j’ai toujours donné sans compter (et je le ferai jusqu’à ma mort), j’ai toujours tendu l’oreille et validé l’invalidable pour que ces derniers ne se sentent pas seuls ni déracinés.

Plus tard en côtoyant ces individus d’une grande petitesse j’ai changé en mal, mais aujourd’hui je sais exactement que j’avais eu raison depuis tout ce temps, je suis ce que tout le monde devait être si la corruption de l’âme et de l’esprit ne les avait pas rongés de l’intérieur, et ce n’est pas de la vanité que de l’écrire.

Tous rongés par le mal absolu, la poursuite des plaisirs, de l’opulence, du matériel, de la vanité, tous rongés par l’égo, par l’envie d’écraser les plus proches avec cannibalisme, tous sans exception.

Je suis la personne la plus humaine que j’ai eu l’honneur de côtoyer, alors comprenez que ma simple compagnie me suffit amplement.

En presque trente ans d’existence, je n’ai connu que des coquilles vides ou des coquilles stupidement pleines ; de vices et d’envies voraces sortis tout droit du trou du cul du diable cet être si méprisable, ce traître menteur, cet orgueilleux notoire, ce capricieux narcissique.

Que d’adjectifs présents dans chacune(e) d’entre vous, et je le dis avec assurance, totalement inexistants en moi.

Mais je reste un pitre !

Un pitre qui jusqu’à présent faisait toujours avec et qui déguisait le mal dans les autres très souvent pour des sentiments sains envers ces derniers ; amicaux, familiaux, sentimentaux.

Un saltimbanque qui était pris pour un clown par les plus clownesques d’entre eux.

Alors oui, être tiède me dérange autant qu’il marque un changement capital dans mon existence : il est temps d’enclencher le troisième cycle, à condition qu’il ne se soit pas enclenché sans que je m’en rende compte, souvent le soir c’est ce que je me dis.

L’iceberg a fondu de lassitude, mais dans son long gel il était là ; observateur silencieux bien qu’enjôleur de ce monde détestable qui tombait en ruines depuis sa naissance.

Là, présent dans le froid arctique à voir des animaux vivre leur vie sans se soucier des humains qui ne leur apportaient que l’angoisse et détruisaient leur monde.

Là ; où des pingouins s’unissent pour la vie et où les ours polaires sont en constante recherche de nourriture, ce même endroit où des baleines viennent mettre bas et se reposer, loin des humains et de leurs navires polluants.

Enfin là où sa course contre le temps le menait inexorablement à fondre petit à petit à se déconstruire de cet état de gel vers un nouvel état liquide et en mouvement.

Un état qui allait faire de lui comme d’autres icebergs l’ayant précédé une combinaison avec la mer qui, par un unique courant divin, allait se diriger vers d’autres eaux plus chaudes et plus en proie à soutenir la vie qu’elle est censée protéger et octroyer ce droit de vie à tous ceux qui croiseraient son chemin.

Finalement, je crois n’avoir jamais vu un pitre tenir de tels propos, mais c’est aussi ça les pitres de la classe de cours.

Ces individus drôles qui le sont très souvent pour se renfermer en eux-mêmes paisiblement, l’air de dire aux autres : prenez uniquement cette facette de ma personne et rions ensemble face à la vie qui n’est rien de plus qu’un cirque désordonné.

Le pitre,
Barakate Omar.

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